Quelque part à Tokyo, des sirènes retentissent de nuit. Un garçon de 11 ans se réveille et court vers les flammes d’un incendie qui vient de se propager dans un hôpital. Mais c’est trop tard, sa mère y trouve la mort et le garçon quitte Tokyo avec son père pour aller vivre à la campagne dans un manoir où il fait la connaissance d’un héron. Taciturne et confronté au deuil, le garçon (Mahito) entame sa quête de vérité dans une étrange tour guidé par cet oiseau à la fois comique et dérangeant. Le décor est planté, mais est-ce que la magie opère ?
Un accueil mi-garçon mi-héron
Rares sont les œuvres de Miyazaki à avoir suscité autant d’avis mitigés que Le Garçon et le Héron, treizième long-métrage du maître japonais. Saluée par la critique spécialisée, récompensée par l’oscar du meilleur film d’animation, mais boudée par une partie des fans du studio Ghibli, la dernière création de Miyazaki n’a pas fait l’unanimité, fait suffisamment rare dans la carrière du cinéaste pour être souligné. Le réalisateur est-il passé à côté de son œuvre, lui dont les 12 longs-métrages ont bouleversé l’histoire de l’animation japonaise et mondiale ?
Le réalisme magique miyazakien
Le film, divisé en deux parties, débute par l’arrivée de Mahito dans un vieux manoir où il fait la connaissance de sa belle-mère, Natsuko, qui n’est autre que la petite sœur de sa défunte mère. La visite des lieux débute et le réalisateur profite de cette longue balade contemplative pour mettre tout le monde d’accord. Les premiers plans du film sont à couper le souffle et le constat s’impose de lui-même : le coup de crayon de Miyazaki, du haut de ses 82 ans, n’a pas pris une ride. Lors de la visite du manoir, le garçon est accueilli par un héron, un oiseau étrange qui se fond dans le décor comme s’il était le maitre ancestral des lieux. Premier élément perturbateur du film, le héron introduit cette dynamique propre à tous les films fantastiques de Miyazaki et annonce le caractère tumultueux des événements à venir. On remarquera que toutes les apparitions du héron brisent la fixité des plans et la tranquillité apparente du manoir et de ses environs, instaurant dès les premières minutes du film une tension qui ne fera que gagner en intensité.
Cette première partie du film confirme l’attachement qu’a le cinéaste pour le réalisme magique, ce style artistique qui consiste à superposer des éléments fantastiques et magiques à un cadre réaliste : les servantes à l’étrange physionomie qui se contorsionnent comme des larves ; toutes les portes, ouvertures, fenêtres, tunnels qui s’ouvrent vers l’inconnu ; le héron qui se met soudainement à parler, ou encore ; la présence de cette tour dont on ignore l’origine, à la fois étrange et menaçante, qui trône au milieu du jardin. Cet entrelacement du fantastique au quotidien est renforcé par l’apparition des rêves de Mahito dans sa réalité (les flammes de l’incendie ayant causé la mort de sa mère s’invitent dans le manoir) pour brouiller les contours d’un monde qui se délite progressivement et le conduisent inévitablement vers l’univers fantasmagorique (miyazakien par excellence) où il sera entraîné dans la deuxième partie du film. À mesure qu’on y approche, de ce saut dans l’inconnu cher à Miyazaki, les chimères de ce monde caché se font de plus en plus insistantes, comme en témoigne cette sublime scène impliquant Mahito, le héron posé majestueusement au milieu du lac et les centaines de grenouilles qui recouvrent le corps du garçon, l’engloutissant déjà avant son grand plongeon.
Une fable homérico-psychédélique
À l’image d’un héros homérique en quête de vérité, Mahito est propulsé dans un univers inconnu, peuplé de créatures mythologiques et fantastiques. Dès lors, les frontières entre le réel et l’onirique sont brouillées par Miyazaki, ne laissant pas au spectateur le temps de se repérer dans un univers qui change constamment (parfois un peu trop vite) là où les précédentes créations du réalisateur prennent le temps de poser les repères spatio-temporels. On imagine sans mal le désarroi des esprits cartésiens devant ce film et leur tentative de trouver de la cohérence tout au long des événements qui s’enchaînent, sans fil conducteur ou logique apparente. En avançant dans ce chaos fantastique, aussi sublime graphiquement que désordonné dans sa structure, Mahito rencontre différentes créatures miyazakiennes par excellence, tantôt attendrissantes comme les Warawara ou menaçantes comme les perruches anthropophages, dont le visage mignon contraste avec les couteaux qu’elles tiennent derrière leur dos. Alors que l’esprit, saturé ou charmé par la densité de cet univers peuplé, voire trop peuplé, d’autres personnages continuent d’apparaître et d’ajouter du flou à ce brouillard artistique comme la mère de Mahito , jeune et plus vivante que jamais, dotée de pouvoirs de feu, Kiriko, une vaillante jeune femme qui navigue dans les eaux de ce monde, ou encore, le Grand Oncle, une sorte de vieux sage, Dieu de ce monde dont il préserve l’intégrité en tenant en équilibre treize pierres blanches d’un blanc immaculé.
Un film-somme
Une fois la première heure du film écoulée, et le premier quart d’heure passé à l’intérieur de cet univers, l’esprit cartésien s’essouffle et on comprend que les règles et les codes qui régissent l’œuvre de Miyazaki ne répondent pas une logique narrative. Par ailleurs, Miyazaki lui-même avertit le spectateur à travers cette inscription sur le portail de la tour qui sépare les deux mondes : « Ceux qui chercheront à comprendre, périront ». Ce message, sur lequel la caméra s’attarde quelques secondes n’est pas sans importance : ce film est une invitation au voyage, et le spectateur ne doit surtout pas essayer de tout comprendre s’il ne veut pas passer à côté de l’œuvre. Le film, en quelque sorte se regarde comme on lirait une poésie symbolique dont nous apprécions la musicalité sans en saisir toute l’essence (et le sens). Si on doit s’arrêter un instant aux symboliques, un seul retient le fan de la première heure du studio Ghibli : ce film se veut un chant du cygne du réalisateur japonais et un film-somme de toutes ses œuvres. Une sorte de rétrospective qui sonne comme un chant du cygne du réalisateur japonais. Parmi les références les plus marquantes :
Les Warawara, ces créatures blanches attendrissantes, cousines des noiraudes du Voyage de Chihiro et de Mon Voisin Totoro et celles des Kodama de Princesse Mononoké.
Mihi, la mère de Mahito , qui apparaît nimbé de feu sur l’âtre d’une cheminée, ce qui n’est pas sans rappeler Calcifer dans Le Château Ambulant.
Le tunnel qui introduit à la tour, similaire à celui qu’emprunte Chihiro et ses parents au début du Voyage de Chihiro.
Un plan fixe, montrant un lac avec une structure en pierre, identique à celui qui apparaît dans Porco Rosso.
Kiriko qui lance avec beaucoup d’emphase « Le vent se lève » à Mahito , référence à peine voilée à l’avant dernier film du réalisateur.
La pierre volante du Grand Oncle, qui rappelle les structures volantes ayant jalonnées toute l’œuvre de Miyazaki, et notamment celle du Château dans le ciel. (le film dont le cinéaste est le plus fier selon ses dires.)
La mère de Mahito qui décide de rentrer par une autre porte que celle empruntée par son fils, pour le retrouver à l’avenir, exactement comme l’a fait Hauru pour retrouver Sophie dans Le Château Ambulant, à travers un saut dans le temps.
L’adieu du géant
Œuvre particulière qui dénote avec le reste des films de Miyazaki, Le Garçon et le Héron repose sur des codes déroutants auxquels les fans du studio Ghibli n’ont jamais été habitués, et qui peut, en partie, expliquer les critiques mitigés qu’il a reçus. S’il n’est pas le chef d’œuvre espéré, le film n’en reste pas moins l’une des pièces les plus importantes de son auteur, celle dont il s’est généreusement servi pour faire ses adieux à la vie, tout en posant un regard inquiet vers le monde qu’il va laisser à son petit-fils auquel le film est dédié. La tour finit d’ailleurs par s’effondrer, alors que les treize pierres blanches qui maintenait le monde en équilibre, comme les treize films de Miyazaki, sont détruites, soulignant par là le pessimisme du réalisateur quant à sa succession à la tête du studio Ghibli, la tour où il s’est enfermé toute sa vie pour défaire et refaire le monde.
Islem MEGHIREF est le fondateur et le rédacteur en chef de Gametechdz, un magazine digital dédié aux jeux-vidéo, aux nouvelles technologies et à la culture geek.
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